Chroniques

par monique parmentier

Semele | Sémélé
opéra de Georg Friedrich Händel

Théâtre des Champs-Elysées, Paris
- 30 juin 2010
© alvaro yañez

Pour clore sa saison, le Théâtre des Champs Elysées reprend une production de la Semele de Händel qui, en 2004, connut un grand succès. Le public parisien est venu nombreux pour la voir ou la revoir. Dans sa grande sobriété, la mise en scène de David McVicar n'a pas vieilli. Elégante jusqu'à l'épure, elle installe le drame comme une illusion, un rêve – celui de la sœur de Sémélé, Ino – mais également par une série de reflets – ceux de l'héroïne ou de Jupiter – tandis que le Sommeil, personnage baroque s'il en est, détient la clé du songe et de la tragédie.

Dans un décor en demi-lune de ce qui pourrait être un temple antique, quelques éléments (dont le sol qui devient ciel étoilé à l'Acte II, belle idée) viennent, avec les éclairages poétiques dePaule Constable, compléter cette sensation onirique qui s'empare de chacun tandis que se lève le rideau et que la brume emplie le théâtre de ces volutes irréelles. Les costumes deBrigitte Reiffenstuel sont d'un luxe éblouissant.

Si, en 2004, les Musiciens du Louvre et Marc Minkowski étaient dans la fosse, Les Talens Lyriques, sous la direction de Christophe Rousset, prennent aujourd'hui le relais. L'orchestre livre des couleurs chatoyantes, des ombres profondes. Dans les récitatifs, la limpidité du clavecin de Rousset éclaire le texte avec amour. Quant à sa direction souple, délicate et sensible, elle offre aux chanteurs un velours orchestral. Le Chœur du Théâtre des Champs-Elysées fait preuve d'une superbe homogénéité et d'une grande éloquence. Parfaitement maîtrisée, la langue anglaise souligne les affects qui animent les personnages. À la fois acteur un rien détaché, observateur et commentateur, sa puissante présence renforce le drame et sa cruauté.

De la distribution initiale l’on retrouve l'Athamas sans relief deStephen Wallace et le Jupiter de Richard Croft, qui malheureusement a perdu un peu de sa superbe. Du casting masculin l’on retiendra surtout le Cadmus|Somnus de la magnifique bassePeter Rose. La voix est d'une grande souplesse, le timbre profond et la présence scénique sert particulièrement le Sommeil.

Ce soir, ce sont les dames qui enthousiasment. La Sémélé capricieuse et sensuelle deDanielle De Niese possède le timbre idéal pour le rôle. Sa légèreté permet des coloratures d'une vélocité étourdissante, que ce soit dans My Self I shall adore ou dans No no I'll take no less, tandis qu'au deuxième acte, la voix se fait voluptueuse dans O sleep et devient bouleversante d'émotion dans le récitatif final. Face à elle dans le double rôle d'Ino (la sœur jalouse) et Junon (l'épouse bafouée), Vivica Genaux est tout simplement époustouflante de musicalité, dotée d’un chant à la grande facilité expressive, passant de vocalises en trilles comme autant de pirouettes sur scène. Le lien du rêve entre Ino et Junon prend, grâce à sa présence, une violence psychologique machiavélique, bien qu'on la sente nettement plus à l'aise en Junon. Avec sa suivante Iris, interprétée par la délicieuse et piquante Jaël Azzaretti, elle forme un tandem savoureux. Tandis que dans le duo avec Sémélé Prepare then, ye immortal choir, le mariage des timbres est d'une suavité poignante.

Cette si belle production a rajouté un personnage, présent dans le manuscrit original deSemele, qui avait disparu lors de sa création : Cupidon. Claire Debono y fait preuve d'une extraordinaire présence théâtrale et vocale. Elle est un petit marquis de Sade s'appuyant sur une canne – flèche qui transperce les cœurs et dont la symbolique n'échappe à personne –, en lunettes noires, costume rouge-passion, qui se joue avec spiritualité et audace de son air Come Zephyrs, come.

Semele est probablement l'une des plus belles œuvres du Caro Sassone. Entre oratorio et opéra, elle est un joyau unique. La merveilleuse distribution de ce soir soulève l'enthousiasme de l’auditoire, car elle en fait palpiter l'émotion, les affects qui, du rire aux larmes conduisent Sémélé à sa perte et à sa renaissance. Belle fin de saison annonçant un avenir brillant.

MP